Le Grand Chemin
des sources
de l’Oise à Compiègne

 

 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lire une histoire vraie
survenue au Mont-de-Chatillon

 
 
 

Le Grand Chemin

des sources de l’Oise à Compiègne

Pour étudier les chemins de Thiérache, nous avons choisi au départ un itinéraire bien connu, puisqu’il s’agit de la route utilisée autrefois par les moines cisterciens qui se rendaient de l'abbaye de Signy-l'Abbaye à celle de la Valroy à Saint-Quentin-le-Petit, toutes deux communes des Ardennes.

Nous verrons que cette route du Moyen Age porte encore en divers endroits le nom de “ Chemin des Romains ” ou de “ Grand Chemin ”, et qu’elle est sans doute le tronçon d’une voie beaucoup plus importante et plus ancienne, vraisemblablement d’origine gauloise, selon des indices archéologiques et toponymiques.

  Voici le plan d’étude proposé :

I - Itinéraire du Chemin des Moines.
II - Caractéristiques du chemin étudié.
III - Ouverture du Grand Chemin vers le Nord Est.
IV - Ouverture du Grand Chemin vers l’Ouest.
 
 
Le Chemin de Hannogne  

I - Itinéraire du Chemin des Moines

Le Grand Chemin
de Hannogne à Marlemont

 

(à partir des cartes IGN au 1/25 000 ou 1/50 000 : 28/10, 28/09, 29/09)

Ce vieux chemin (Carte 1), facilement identifiable, est attesté par des documents sérieux puisqu’il reliait autrefois les deux abbayes cisterciennes de Signy-l'Abbaye et de la Valroy, distantes d’une quarantaine de kilomètres, toutes deux bâties au XIIe siècle et détruites après la Révolution française. Leurs cartulaires nous disent leurs relations de voisinage et l’échange qu’elles faisaient de leurs produits. Un moine de l’époque a laissé le récit de la visite qu’il effectua dans les deux monastères en 1749 (Voyage littéraire de Dom Guyton en Champagne). De fait, les carrosses, les diligences et les courriers postaux ont circulé sur cette route jusqu’en 1850 environ ; elle n’est plus guère fréquentée aujourd’hui que par les engins de culture, les cavaliers et les promeneurs et n’est plus carrossable sur tout son parcours.
Pour en faciliter l’étude, nous l’avons divisée en trois tronçons inégaux à partir du lieu-dit « les Quatre Peupliers » facilement accessible en voiture et situé sur la D8 Wadimont-Chaumont, au croisement de ce Grand Chemin, à peu près à mi-distance entre Signy et la Valroy.

Le Grand Chemin marque la ligne de partage des eaux entre les bassins de l'Oise et de l'Aisne.
De nombreux chemins de crête partent du Mont-de-Châtillon vers le Sud.

a) Des Quatre-Peupliers à la Valroy

   
     
Par beau temps, nous pouvons, de cet endroit, avoir la chance d’apercevoir la cathédrale de Laon, qui se trouve cependant à une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau. Les quatre peupliers ont malheureusement disparu, il y a quelques années ; ils marquaient un croisement important, comme de nombreux bouquets d’arbres et de calvaires que nous rencontrons aux vieux carrefours. Sans doute “ la vié voye ”, la vielle voie de Reims, dont on voit nettement le départ à la sortie de Wadimont vers la Hardoye, aboutissait-elle à cet endroit.

La route que nous prenons, en direction de la Folie, domine ici deux vallées parallèles et se trouve être la ligne de partage des eaux de deux bassins : celui de l‘Oise, à droite, avec la vallée de la Malacquise qui se jette dans la Serre à Montcornet ; celui de l’Aisne, à gauche, avec la rivière de St-Fergeux qui reçoit le ruisseau de Trion, tous deux attributaires de la Vaux ; ces eaux ne se mêleront qu’à Compiègne.

Nous passons près d’un point d’eau, tout à fait inattendu sur cette hauteur, qui pourrait justifier le nom du village voisin, appelé “ Wadimont ”, la syllabe wa signifiant l’eau en langue franque. À deux kilomètres se trouve, au hameau de la Folie, un embranchement important où se croisent plusieurs anciens chemins. Ne sont ils pas annoncés par le toponyme Trion, village disparu depuis plusieurs décennies et dont le terroir jouxtait ce carrefour ? Selon S. Gendron, Trion serait à rapprocher du latin trivium et indiquerait le départ de trois voies importantes ; en effet, le Grand Chemin se divise ici en trois directions Ouest :
    1 - le chemin de Reims par Forest, Banogne et Le Thour
    2 - le chemin de Nizy le Comte par Forest et Hannogne (direction Laon et Compiègne)
    3 - le chemin de Sévigny par le Radois, Chaumontagne et Waleppe (direction Saint Quentin).

Nous aurions pu gagner l’abbaye de la Valroy par cette troisième voie qui passe par la ferme templière de Chaumontagne, le Mont-Dieu, Waleppe où fut découverte une nécropole mérovingienne et Sévigny, avec son ensemble seigneurial et son église fortifiée du 13 ème siècle ; elle est à plusieurs endroits limite de communes et de cantons, preuve de son ancienneté.
Cependant, nous privilégions la seconde, celle de Nizy-le-Comte, qui a toujours nom « Le Grand Chemin ». Elle traversait Forest non loin de la fontaine, croisait la route de Rozoy à Rethel, encore appelée « route royale de Marle à Verdun », puis se dirigeait vers Hannogne. C’est près de ce village au lieu dit « Les Trois cerisiers », qu’une sépulture gauloise fut mise à jour en 1964, identifiée comme tombe à char du 1er siècle.

Depuis les Quatre-Peupliers, nous avons traversé un plateau calcaire où le tracé reste net malgré quelques brèves coupures. A la sortie de Hannogne, il emprunte sur environ un kilomètre la D2, puis continue seul en ligne de crête, limite de communes entre Banogne et Sévigny.
Les routes de desserte qu’il rencontre sont marquées au croisement d’un bouquet d’arbres ou d’un calvaire : les Trois Cerisiers à Hannogne, les Quatre-Sapins à la Bouverie, l’Arbre-des-Coquins et la Croix à Saint Quentin-le-Petit. Il passe le ruisseau des Barres au lieu-dit « le Pont-de-Pierre » pour arriver au carrefour gallo-romain de Nizy-le-Comte où le prolongent des voies antiques importantes.
C’est à partir des Quatre–Sapins, que laissant le chemin de crête, les voyageurs descendaient à l’abbaye de la Valroy située au bord du ruisseau. Il n’en reste plus rien, hélas ! et même son emplacement fut oublié jusqu’à ce qu’un obus de la guerre 14-18 n’en fasse ressurgir les fondations. Seule la ferme de la Bouverie reste le témoin des bâtiments monastiques.
   
 
 
 
 

Le point d'eau
sur la crête de Wadimont

Abbaye Royale
Notre Dame de la Valroy

Vitraux de l'ancienne abbaye de la Valroy

b) Des Quatre-Peupliers au Mont-de-Châtillon

     
Revenons à notre point de départ des Quatre-Peupliers pour parcourir vers l’est l’autre partie du Chemin des Moines. Il s’appelle à cet endroit « Chemin des Romains » et présente un large empattement ; bien que chemin de terre tassée, utilisé par les tracteurs, il est resté en bon état, ce qui suppose une bonne assise et évoque une route de quelque importance.

Toujours en ligne de crête, il surplombe ici le village de Rocquigny où l’on trouve, en bordure de la Malacquise, plusieurs pâtures du nom de Maladrie ; ce toponyme, apparenté à Maladrerie, signale les léproseries installées au Moyen-Âge au long des grands chemins. Selon le Pouillé de 1310, la paroisse de Rocquigny était alors sous le patronage de St Jacques, ce que pourrait expliquer le chemin de long parcours.
Celui-ci nous conduit au Mont de Châtillon ; bien que partiellement détruit ces dernières années, il apparaît encore comme un lieu stratégique dominant toute la Thiérache ardennaise jusqu’aux horizons de la butte de Marlemont, de la forêt de Signy et des monts de Sery.
Point de jonction des terroirs de trois villages : Chaumont, la Hardoye et Rocquigny, il se présentait avant sa mutilation comme un oppidum trapézoïdal, éperon barré qui laissait passer le chemin au pied d’un grand plateau crayeux. G.A. Martin, dans son “ Essai historique sur Rozoy et ses environs ”, lui consacre un long développement ; il estime que le site aurait pu accueillir une légion romaine, étape sur la route du Rhin.
Le Mont-de-Châtillon tient-il son nom, comme le suggère G.A. Martin, du fait qu’il aurait été un camp romain ? Ou bien le doit-il au Connétable Gaucher de Châtillon à qui le céda Philippe-le-Bel en 1289, en même temps que la seigneurie de Rozoy et le comté du Porcien ?
L’importance de ce lieu peut s’apprécier au nombre de chemins qui partent de là en étoile et toujours en crête (Carte 2). Outre le chemin des moines est-ouest qui se révèle être un chemin de long parcours, on y découvre :

· Vers le sud,
des chemins régionaux qui, à partir du Mont-de-Châtillon, semblent plutôt avoir servi l’économie régionale et l’administration au Moyen-Âge, au temps où la seigneurie de Chaumont relevait des comtes de Château-Porcien :
- chemin de Condé-sur-Aisne par les crêtes, Trion, Logny, Chaudion et la vallée du ruisseau de St-Fergeux ; Condé fut longtemps le port d’embarquement des productions régionales.
- chemin direct de Château-Porcien par Chaumont, le bois des Indiens et Chevrières (Chemin de Macquenoise n°3).
- chemin de Rethel par Pagan, Folle Pensée, Herbigny, Justine et Sorbon, qui s'appelle toujours "Chemin des Romains".
- chemin de Sous-les-Faux, la Blaisotterie, les Fondys, qui pouvait, par le gué de Draize, s’orienter vers la forêt de Mortiers où les moines de la Valroy possédaient une grange, près de la borne des Trois-Abbés. Cet itinéraire mériterait d’être étudié car les anciens le nomme encore “la route de Trèves”.

· Vers le nord,
des chemins qui ouvrent la région vers des grands axes nordiques :
- chemin de Rumigny, par la Planche à Serre, qui met en relation directe Château-Porcien et Macquenoise (voir chapitre "les chemins de Macquenoise").
- chemin de Saint-Jean-au-Bois, rejoignant à Marlemont l’ancienne voie Laon-Castrice (Mézières).
- chemins de Grandrieux et de Liart qui perdurent en tant que routes et se dirigent vers le Rhin ou la Mer du Nord par Givet, Couvin, Etréaupont.
 

Chemin crayeux entre les abbayes
de la Valroy et de Signy

 
 
 

Vue sur le village de la Hardoye

 
 
 
 

c) du Mont-de-Châtillon à l’abbaye de Signy

   
     

Reprenons la route des Moines en nous engageant vers le nord-est. Nous quittons ici les terres crayeuses du Porcien pour entrer dans les terres lourdes et argileuses de Thiérache ardennaise, où le tracé des voies, par des vallons humides et accidentés, ne fut sans doute pas facile.

Après la barre de l’éperon du Mont-de-Châtillon, le chemin emprunte, sur un kilomètre environ, la route de Rocquigny, jusqu’au Point du Jour où il s’oriente à droite jusqu’au carrefour de la Guinguette. C’est de cet endroit que les moines de la Valroy, à mi-parcours de Signy, gagnaient leur gîte d’étape : leur grange de Rocquigny était, sans nul doute, la ferme sise de ce côté-ci de la rivière, appelée aux temps révolutionnaires “la Mal-Bâtie” et devenue la ferme du Pont ; elle présentait il y a peu de temps encore un beau quadrilatère fermé par un porche.
Elle fit l’objet d’un acte de donation daté d’Août 1224 par lequel « Roger, seigneur de Chaumont, cédait à l’abbaye de la Valroy, moyennant une rente de douze sous deux deniers, une maison avec pourpris dont le jardin aboutissait à la rivière appelée Ceram » (selon G.A. Martin).
À la Guinguette, après la première maison s’ouvre la suite du chemin ; il longe à gauche le Mont des Louviers et l’on peut regretter qu’il ait été à cet endroit, inclus dans une pâture. Nous le retrouvons juste avant la croisée d’un autre vieux chemin, au lieu-dit “la Wache”, marqué sur la carte IGN d’un petit carré de verdure qui pourrait être, selon C. Pommeau, l’emplacement d’une ancienne borne romaine ; il nous mène jusqu’au carrefour de Bel-Air (lieu-dit les Houis) en passant près de la ferme du Bois-Diot, dont l’ancêtre du propriétaire actuel disait l’avoir fait construire près du “Grand Chemin”.
La petite route qui le prolonge est nommée, au cadastre napoléonien de la Romagne, “chemin des Houis à Maranwez”. Elle nous conduit au carrefour forestier de Mainphy après avoir traversé la D10 entre Montmeillant et Saint Jean.

Un point important du parcours est à noter ici : après le carrefour de Bel Air, la carte IGN 28/09 au 1/25000 présente à gauche, dans le bois d’Apremont, au bord du chemin, le dessin très net de deux centuries romaines accolées ; elles ouvrent, en direction NE, une vaste zone de cadastration étudiée par ailleurs qui s’étend jusque la forêt d’Estremont. Ces deux centuries, appuyées sur le Grand Chemin, en attestent l’origine pré-romaine ; leur base fut légèrement déplacée au 19ème siècle lorsque la construction du tunnel voisin, sur la ligne de chemin de fer Amagne-Hirson, fit reculer la route de quelques mètres ; son emplacement primitif est toujours marqué d’une ligne d’arbres ; il passait par la ferme des Houis et l’on peut encore le distinguer dans la pâture voisine.
Dans la centurie le plus à l’est du bois d’Apremont se trouve une pierre de Stonne fichée en terre au cœur de trois sources : deux se dirigent vers la Malacquise, l’autre vers la Vaux ; cette pierre semble souligner la ligne de partage des eaux entre les bassins de l’Oise et de l’Aisne qu’a suivi notre Grand Chemin depuis l’abbaye de la Valroy.

A partir du carrefour de Mainphy, le Grand Chemin se perd dans le domaine forestier de l'abbaye de Signy, fondé au Moyen-Âge.Il n'en ressort qu'à l'orée du bois, prés de la Fontaine de Bourq où il croise la route de Marlemont à Maranwez (D56), elle-même tronçon de l’ancienne voie Laon-Castrice (Mézières) ; puis il monte jusque la Butte de Marlemont et le centre du village par un chemin encavé bordé de grands arbres.
De Mainphy, il n'était pas aisé aux Moines de joindre le monastère par la forêt dont le relief accidenté égare plus d’un promeneur dans des lieux hasardeux comme “le Trou de l’Enfer” ou “le Laid Trou”. Venant de la Valroy les convois pouvaient prendre en face l’allée qui les menait directement à la “Porte des Bœufs” où ils franchissaient le fossé d’enceinte du domaine abbatial ; ce chemin est actuellement privé.
D'autres possibilités s'offraient également aux voyageurs, selon l’endroit où ils désiraient se rendre : ils pouvaient, à partir de Mainphy, emprunter le chemin toujours actuel qui va du Bois de Château à la forêt des Moines, en suivant la ligne de crête jusqu’à la Fontaine Rouge.

   
 
 
 
 

Abbaye de Signy

Vers le Mont-de-Châtillon.

 

 

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