A la recherche
du pagus des Viromandui

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Gaulois

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Vermand et ses fortifications
(photo R. Agache)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

A la recherche du pagus des Viromandui

Tant d’hypothèses ont été avancées sur le pays viromanduen qu’il peut sembler téméraire d’en chercher encore les limites. Cependant les recherches effectuées par des historiens contemporains tels que C. Goudineau, S. Fichtl, J. Lusse, T. Benredjeb et tant d’autres ont remis cette question en lumière et nous autorisent à la poser à nouveau, compte-tenu de la découverte récente de voies gallo-romaines en cette région frontalière.

Celle-ci dut être l’objet de profonds remaniements après la conquête romaine qui, à partir de Reims, établissait un réseau serré de communications vers la Grande-Bretagne et le Rhin.
Aussi avons-nous fait appel aux données géographiques ainsi qu’à la toponymie pour étayer les études historiques et tenter d’identifier les anciennes frontières selon le plan suivant :
• Présence des Viromandui lors de la conquête romaine.
• Proposition des limites du pagus.
• Conclusion et ouvertures.
       

Situation des Viromandui
dans la carte des cités gallo-romaines

 

Présence des Viromandui lors de la conquête romaine

    Les Viromandui sont bien présents en Gaule lors de la conquête romaine, et César les cite à plusieurs reprises dans ses Commentaires. Avec les Atrébates, les Ambiens et les Bellovaques, ils constituaient le Belgium, partie la plus occidentale de la Gaule Belgique, et Strabon les donne pour être les plus braves et les plus courageux de tous : ne sont-ils pas les seuls à avoir su contenir, quelques décennies plus tôt, les Cimbres et les Teutons ?

Ils participent au Concilium où s’organise, en 57 av. J.C., la première coalition belge qui s’oppose aux légions romaines. Les Viromandui y engagent dix mille hommes, soit autant que les Ambiens (Amiens), les Véliocasses (Rouen) et les Calètes ( Lillebonne). Tous se rassemblent sous le commandement de Galba, chef des Suessiones qui, pour leur part, amènent cinquante mille hommes, de même que les Nervii.

Les armées romaines venant de Reims franchissent l’Aisne sur le pont de Berry-au-Bac, comme a pu l’analyser Napoléon III, et c’est à l’emplacement de ce village que César établit son camp sur la rive droite, c’est à dire en territoire des Rèmes, ses alliés. Car, s’il indique l’Aisne comme limite extrême de leur civitas (« quod est in extremis Remorum finibus »), il est vraisemblable que la frontière était non la rivière elle-même, mais sa ligne de partage des eaux avec celles de l’Oise, marquée par le Grand-Chemin de crête de Nizy-le-Comte à Compiègne.

Proposition de frontières pour le pays viromanduen

 
   
     
Les auteurs actuels, déjà cités, pensent en effet que les rivières constituaient l’épine dorsale des pagi plutôt que leurs frontières, celles-ci étant les limites des bassins fluviaux marquées par des voies importantes qu’entretenaient en commun les pays voisins : ainsi en est-il encore aujourd’hui pour les vieux chemins qui demeurent souvent limites de communes ; S. Fichtl donne l’exemple de la Somme, en tant que rivière centrale des Ambiens, l’Aisne pour les Rèmes et les Suessiones, et il semble logique que l’Oise ait été celle des Viromandui : dans son ouvrage publié en 1878, E. Dujardins porte déjà l’extrémité de leur territoire jusque dans la vallée de la Serre.

Si l’on peut donc retenir le Grand-Chemin comme frontière-nord des Rèmes, il apparaît normal que César ait installé le long du fleuve, en terrain allié, ses camps de Berry-au-Bac, Mauchamps ou Baurieux.

Mais qu’en est-il de Bibrax où se livra le premier grand combat, puisque la colline St-Thomas est située bien au nord du Grand-Chemin, abritée par les marais de l’Ailette ? César assure qu’elle appartenait aux Rèmes, mais son commandant, Iccius, ne dut-il pas faire appel à des guides pour amener, de nuit, les troupes de renfort, ce qui laisse supposer que Bibrax n’était pas implantée en pays des Rèmes ? Il se peut qu’en tant qu’alliés des Belges ils aient primitivement tenu cette place, à moins qu’ils ne l’aient prise en mains dès leur allégeance à César. La question reste ouverte, comme celle de l’identité du pays où se trouvait Bibrax.

A la suite de leurs victoires sur l’Aisne, les Romains poursuivent les Belges en direction de Soissons, empruntant le Grand-Chemin : c’est l’hypothèse qu’adopte M.Rambaud dans une note explicative de la Guerre des Gaules : « L’armée, qui de toute façon devait se regrouper en rappelant le détachement de Titurius Sabrinus, se serait alors portée sur le Chemin des Dames, vers Cerny ou Braye-en-Laonnois, ce qui correspondrait beaucoup mieux au mouvement du lendemain. » Or le Chemin des Dames est un tronçon du Grand-Chemin- frontière vers Compiègne.

Après la reddition des Suessiones, des Bellovaques et des Ambiens, les Viromandui restent présents aux côtés des Atrébates et des Nervi lorsque les Romains s’avancent contre ces derniers ; leur coalition espère prendre une revanche et la rencontre a lieu sur la Sambre, qui marque leur frontière-nord. Mais après l’espoir d’une victoire, c’est une lourde défaite qui les attend : selon « Les Commentaires », leur race et leur nom y furent presque anéantis ; sur soixante mille combattants, cinq cents à peine survivaient, et, sur six cents sénateurs, il n’en restait que trois ! Désormais, le nom des Viromandui ne figurera plus dans les coalitions du peuple belge (56, 54, 53, 52 , 51 av. J.C.) et leur territoire subira sans nul doute le poids de cet échec.

Proposition de limites du pagus viromanduen

 
 
 

 
Propositions de frontières des Viromandui
 
Sommes-nous autorisés, compte-tenu des éléments rassemblés ci-dessus, à proposer des frontières pour le pays viromanduen ?

La carte archéologique de la Gaule, qui se fonde sur le découpage des diocèses du Haut-Moyen-Age, ne lui donne qu’une aire très restreinte ( 850 km2) au regard de celui des Rèmes qui, eux, occupent une surface considérable.
Ce territoire s’appuie à l’est sur le cours moyen de l’Oise, au sud sur celui de l’Aisne, au nord sur la frontière de Belgique, et englobe à l’ouest la première boucle de la Somme, avec les seules villes de Vermand et de St-Quentin, chefs-lieux successifs de la civitas.
Selon les rapprochements effectués par S.Fichtl, la méthode des polygones de Thiessen s’adapte mal au pagus viromanduen et montre des anomalies entre les limites gauloises et romaines transmises au Moyen-Age : en effet, celles-ci ont été modifiées au cours des âges, le diocèse de Vermand ayant disparu alors que se créait celui de Laon, érigé par St Remy au VIe siècle. Quant à la référence aux oppida des Viromandui, un seul a pu être identifié dans ce périmètre étroit, celui de Vermand, avec son sanctuaire tout proche : Marteville.
Nous avons donc cherché plus loin les frontières primitives :

a) en ce qui concerne la frontière-nord, celle avec les Nervii ne semble pas poser de problème majeur puisqu’elle a perduré depuis deux mille ans. Longeant le Haut-bassin de l’Oise, elle correspond à la ligne de partage des eaux avec l’Escaut et la Sambre, dont la Petite et la Grande Helpe sont les affluents. C’est à cet endroit que A. Piette situe la marche des Romains contre les Nervii.
Plusieurs toponymes marquent cette limite comme Fins, (« fines atreborum » pour A.Piette), Fesmy, Bazuel, Molain, mais aussi Iron ( à rapprocher de equoranda) qui est en même temps village et rivière. On peut ajouter Catillon, donné comme forteresse par A.Piette, avec Serain, Busigny, Mondrepuis et Macquenoise, ce qui explique que cette frontière ait su résister aux invasions, malgré les contestations ordinaires, comme celles que nous conte J. Lusse pour la période du Moyen-Age.

b) la frontière-sud dut être, comme l’écrit César, la vallée de l’Aisne, en sa ligne de partage des eaux avec le bassin de l’Oise. De Nizy à Compiègne, elle aurait ainsi séparé les Viromandui des Rèmes et des Suessiones, par son Grand-Chemin jalonné de places fortes :
- sur la rive droite, la colline St Thomas, Montbérault et Coucy, dans la vallée marécageuse de l’Ailette.
- sur la rive gauche, les camps de Berry-au-Bac et de Bérieux, Condé, Vic, ainsi que les oppida de Pommiers et de Villeneuve-St Germain ; des fouilles de 1862 ont prouvé l’existence d’un camp romain sur la colline de Mauchamps.
Ce chemin de crête, encore carrossable sur la presque totalité de son parcours, fut depuis l’Antiquité une route stratégique, chemin d’affrontement et d’Histoire.

c) la frontière-est aurait pu, si l’on admet pour territoire des Viromandui le bassin supérieur de l’Aisne, rester, ainsi que celle du sud, la ligne de partage des eaux avec l’Aisne jusqu’à la Butte de Marlemont, puis avec la Meuse jusqu’au Gué-d’Hossus, ouverture-frontière vers le Rhin : le Grand-Chemin va jusque là avec le toponyme de Montmeillant et celui du Mont de Châtillon, haut point d’observation sur la Thiérache ardennaise ; il semble antérieur à la conquête romaine puisqu’il fut la base d’une vaste zone de cadastration, à l’endroit même où une antique borne forestière marque la limite des bassins fluviaux ( bois d’Apremont).
Cependant, ce n’est pas cette frontière que donna St Remy au diocèse de Laon, non plus que le cours moyen de l’Oise retenu par le pagus romain, bien que cette bande frontalière lui ait appartenu en propre, don personnel de Clovis à l’occasion de son baptême. Nul ne connaît les motivations, politiques ou religieuses, qui lui ont fait retenir l’actuelle limite des départements de l’Aisne et des Ardennes. J. Lusse les a longuement analysées sans qu’aucune se soit révélée probante et peut-être est-il sage de retenir celle de Marlot : « Le principal motif qu’eut St Remy d’establir un évêché à Laon ne fut pas le lustre de la fondation, sa grandeur ny ses richesses, mais pour honorer le lieu de sa naissance. »
De fait, qu’il soit né à Cerny ou à Lavergny comme d’aucuns le prétendent, Remy était issu d’une famille noble du Laonnois et pouvait vouloir reconstituer le pagus de ses ancêtres en même temps qu’il réorganisait le diocèse de Reims ; c’est à ce dernier que revint le Domaine des Pothées, cédé par St Remy au chapitre de Reims dans son testament ; il garda ainsi un statut particulier jusqu’à ce qu’il devienne terre ardennaise avec le nouveau découpage politique effectué après la Révolution française.
Il est possible d’ailleurs que la frontière actuelle de ces départements ait été autrefois celle des pagi gaulois comme pourraient le justifier les données topographiques : d’orientation nord-sud, elle se confond, de la frontière belge à la vallée de la Serre, avec le Haut-Chemin, chemin protohistorique qui reliait Macquenoise à Château-Porcien. Au sud de la Serre, elle emprunte successivement deux anciennes voies romaines :
- celle de Givet à Orléans, de la Serre à Nizy-le-Comte
- celle de Bavay à Reims, de Nizy à Neufchatel, tracé qui aurait pu se substituer à d’anciens chemins gaulois.

d) quant à la frontière-ouest, elle reste la plus incertaine. Si l’on peut admettre que le pagus viromanduen ait subi après la conquête un déplacement vers l’ouest, jusqu’à la limite du diocèse de Vermand, sa frontière originelle aurait pu être plus à l’est la route de crête qui ferme le Haut-bassin de l’Oise en passant par Roye et le bastion de Péronne : on y trouve le toponyme de Moislains et celui de Fins, sans doute point de jonction des Viromandui avec les Atrebates, les Ambiens et les Nervii. César note dans ses Commentaires une frontière commune entre les Ambiens et les Nervii qui serait à cet endroit.
 

A Montmeillant le Gros-Mont au bord du Grand-Chemin

Haut de page